LUC



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



LUC



LUC (Lucus Vocontiensis, Lucus Augusti municipium Vocontiorum, Lucum). - Ce bourg est situé à 21 kilomètres au-dessus de Die, sur la rive droite de la Drome, dans les montagnes, et sur la route royale N.° 93 de Valence à Sisteron par Gap. Sa population est de 697 individus. C'est le chef-lieu d'un canton et la résidence d'une brigade de gendarmerie à pied. Il s'y tient quatre foires par an.
Les productions principales sont les grains, les noix, la soie, le chanvre et le vin.
L'époque de sa fondation se perd dans la nuit des temps. Ce fut d'abord la capitale de la partie du pays des Voconces baignée par la Drome, tandis que Vaison l'était de l'autre partie, qui s'étendait jusqu'au Comtat-Venaissin.
Après la conquête des Gaules, elle fut une des villes municipales des Romains. Pline la met au niveau de Vaison. Elle rivalisa avec Die, jusqu'à ce que cette dernière, devenue colonie sous Auguste, se fut élevée à l'état florissant où on la vit dans la suite.
Tacite rapporte que Fabius Valens, général romain, retournant en Italie avec son armée, pour y soutenir le parti de Vitellius, qui disputait l'empire à Othon, exerça contre Luc, en traversant le pays des Voconces, toutes sortes de rapines et de brigandages. Il menaça de la livrer aux flammes, sur le refus de ses magistrats de payer une somme excessive qu'il leur demandait, et il l'eût fait, si tout n'y eût été prostitué à son avarice et à sa brutalité.
Depuis lors, cette ville déclina sensiblement, et au temps de Constantin ce n'était plus, comme on le voit par l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, qu'une simple mansio, où les voyageurs pouvaient se retirer et passer la nuit.
Il est cependant resté quelques vestiges de sa splendeur passée. On a trouvé dans la terre des morceaux de marbre, des fragmens de colonnes et de statues, des vases, des médailles et des chapiteaux travaillés avec art. La colonne de la fontaine publique est le fragment d'un chapiteau antique, et le bassin est creusé dans une colonne tumulaire sur laquelle on lit encore l'inscription suivante, qui est bien conservée et dont les caractères paraissent être du siècle d'Auguste :
T. FIL. POMPEIAE ANNOR. XXVI. POMP. V.
Titioe filioe Pompeioe annorum viginti sex Pompeius uxori (ou vivus fecit, ou mieux vovit).
Pompeius a élevé ce monument à sa fille Titia Pompeia, âgée de 26 ans.
Un cercueil qui paraît aussi appartenir aux temps antiques, mais sans inscription, sert de bassin à la fontaine qui coule dans la cour de l'ancienne maison de Flotte, appartenant aujourd'hui à M. Lévêque.
Il y avait encore autrefois dans la même maison un petit autel et une pierre d'un pied carré environ, sur laquelle était l'inscription suivante :
MERCVRIO NOVELLVS IOVINCATI V. S. L. M.
Plusieurs auteurs ont avancé que Lucus avait été submergé par les eaux de la Drome, lorsque l'éboulement d'une partie des montagnes voisines, en barrant la rivière, forma le lac qu'on voit sur le territoire de Luc ; mais c'est une erreur : le village occupe encore l'emplacement de l'ancienne ville, et le lac en est à plus d'un quart de lieue. Les détails qu'on lit page 229 et suivantes et l'ordonnance du dauphin du 18 mars 1450, rapportée à la suite de cet article, ne sauraient plus laisser sur ce point le moindre doute.
C'est l'amas énorme de pierres et de rochers produit par cet éboulement qu'on nomme Claps, vraisemblablement du mot latin collapsus, tombé.
La route en construction, de Valence à Sisteron, doit passer par le Claps. D'après les plans de MM. les ingénieurs Josserand et de Montricher, elle sera établie circulairement au petit lac sur la rive gauche de la Drome, et remontant vers le Claps pour regagner la rive droite et le grand lac, elle passera au-dessous et à peu de distance des cascades que forment en cet endroit les eaux de la rivière, ce qui offrira un des paysages les plus intéressans et les plus pittoresques de cette contrée déjà si riche en sites variés et sauvages.
A quelques pas de là, on voit sur la montagne appelée Pied-de-Luc les ruines d'un fort, qui, dans le moyen âge, défendait ce détroit.
Cette même montagne présente une singularité qui mérite d'être mentionnée. A sa base, près du Rif-de-Miscon et peu au-dessus des rochers du Claps, il existe une ouverture produite par une fente qui règne intérieurement jusqu'à la cime de la montagne : c'est une espèce de soufflet qui donne un air frais en été, chaud en hiver, et qui, suivant la direction ou la violence plus ou moins grande du vent, rejette ou aspire ce qui se trouve à l'entrée. On a vu en hiver les bergers se réchauffer les pieds à l'ouverture qui est au sommet de la montagne. Ce courant d'air est nommé par les habitans du pays le ventayre.
Ce phénomène n'a point échappé à l'investigation de M. Gras, ingénieur des mines, et voici comment il le mentionne dans sa Statistique minéralogique : « Sur le territoire de Luc, et non loin du Claps, il existe une fente de rocher longitudinale, large seulement de quelques décimètres, d'où il sort pendant l'été un courant d'air frais, qui est surtout sensible dans le temps des grandes chaleurs ; il est assez fort pour agiter les feuilles des buissons qui croissent près de là. Par une singularité qui semble d'abord inexplicable, ce vent cesse lorsque la température vient à baisser, et dans l'hiver il change de direction, c'est-à-dire que l'air extérieur s'engouffre dans la cavité, au lieu d'en sortir ; sa vitesse dans ce cas est d'autant plus grande que le froid est plus vif.... »
Ordonnance du Dauphin relative au lac de Luc.
Louis aîné, fils du roi de France, dauphin de Viennois, comte de Valentinois et de Diois, à nos amés et féaux conseillers, le gouverneur ou son lieutenant, gens de notre conseil et de nos comptes résidant à Grenoble, salut et dilection. L'humble supplication des manans et habitans des lieux de Luc, Miscon, Saint-Cassien, Léches, Alpilhon, Fourcinet, Montlaur, Beaumont et Baurières, avons reçue, contenant que huit ans ou environ il tomba une montagne auprès et au-dessous du châtel dudit Luc, laquelle montagne a étoupé, retranché et empêché le cours de la rivière de Drome, tellement qu'à présent il y a un grand lac qui contient plus d'une lieue de pays, et qui dure depuis ledit lieu jusqu'au lieu de Rochebrianne ; lequel lac a noyé et dépéri les lieux, villages et habitations, terres et possessions, vignes et héritages desdits supplians, entre autres lesdits lieux de Luc et de Rochebrianne, tellement qu'ils n'ont à présent où ils puissent recueillir blé, vin et autres choses de quoi ils puissent substanter leur vie et leurs ménages, et qui plus est leur a convenu et convient chaque jour faire habitations nouvelles pour loger eux et leurs ménages, et combien que pour la cause dessus lesdits supplians soient tellement appauvris et diminués de leurs chevanches, qu'à peine ont-ils de quoi vivre, et que grande partie d'entre eux s'en soient allés demeurer autre part et autre seigneurie, et néanmoins les commissaires par nous nommés sur le fait de mettre et réduire les feux, les terres tenues de l'église, ou taxées, imposées et enrôlées, lesdits supplians pour huit feux payables de nos tailles, aides et autres subsides mis sus de par nous et en nos pays, et qu'ils ne pourraient supporter ni payer, et fussent-ils en leur premier état qu'ils ne fussent de tout détruits, et qu'il ne leur convient du tout de laisser lesdits lieux et aller mendier leur vie, attendu qu'ils n'ont d'autre part retraite où ils se puissent retirer, ni autres choses dont ils puissent résoudre ni remettre sus, et serait aussi la dépopulation de notre dit pays et la totale destruction desdits supplians, si par nous ne leur était procuré des remèdes convenables, si comme ils disent et nous requièrent humblement, que, attendu qu'ils ont désir de demeurer nos sujets, de vivre et mourir sous nous, nous leur veuillons élargir nos grâces et diminuer les feux à quoi ils ont été mis dernièrement, et les remettre à moindre de feux compétent et raisonnable.
Pour ce est-il que, nous, les choses dessus considérées, qui ne voulons la dépopulation de notre dit pays, et voulons relever nos sujets d'oppresse et des charges à eux importables, inclinant à la supplication et requête desdits supplians, considéré le piteux cas à eux advenu à cause desdites eaux, à eux supplians advenons en ce, et réduisons à deux les huit feux auxquels ils seraient ou auraient été dernièrement assis et imposés pour payables de nos dites tailles, aides et subsides, qui, pour le présent et pour le temps à venir, seront mis sus en notre dit pays. Si vous mandons, commandons et expressément enjoignons à chacun de vous, si comme à lui appartiendra, que de nos présentes modérations et diminutions vous fassiez, souffriez et laissiez dorénavant jouir et user lesdits supplians pleinement et paisiblement, sans eux leur mettre ou donner ni souffrir être mis et donné aucune détourberie et empêchement, et sans le souffrir enrôler, asseoir et imposer dorénavant un plus grand nombre de feux que desdits deux feux, les remettre et fassiez remettre incontinent, sans délai, au premier état d'iceux deux feux, car ainsi nous plaît et voulons être fait, et auxdits supplians l'avons octroyé et octroyons par les présentes de grâce spéciale, nonobstant quelconques ordonnances, restrictions, mandemens, rémissions et lettres subreptrices impétrées, à ce contraires.
Donné à Grenoble, le 18me de mars l'an de grâce 1450, avant Pâques, par Mgr. le dauphin, à votre relaxation. - Perrier. - Registré à la chambre des comptes.

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